Tozan - Le paysan
Comme dans le miroir
La forme et le reflet se regardent
Vous n'êtes pas le reflet
Mais le reflet est vous.
La forme et le reflet se regardent
Vous n'êtes pas le reflet
Mais le reflet est vous.
Tozan (Tung shan, 807-869). C
L'homme : Maître soto*, successeur de Ungan Donjo, maître de Sozan et Ungo Doyo. Cofondateur de l'école soto* avec Sozan. Auteur de l'Hokyo zanmai (Samadhi* du miroir précieux) et de la théorie des go i (cinq degrés de l'illumination), développée par Sozan après sa mort.
Son histoire : Commença par étudier le vinaya*, puis rencontra Nansen et Isan avant de devenir disciple de Ungan Donjo, dont il reçut la transmission. S'établit sur le mont Tozan, où il prêcha le dharma* jusqu'à sa mort.
Son enseignement : Ne s'en remettre à personne ni à aucune formule. Regarder en soi-même et ne jamais relâcher son attention.
Épisodes marquants : Ses mondo* avec le maître vinaya*, avec Nansen et Isan, puis avec Ungan Donjo. Sa séparation d'avec Ungan puis son éveil en contemplant son reflet dans l'eau de la rivière qu'il traverse.
Au milieu de l'onde mouvante, Tozan plante ferme-ment son bâton de pèlerin. La posture est stable, bien campée et pleine d'énergie. Il y a dans ce frêle personnage à la robe retroussée jusqu'aux genoux, une densité, une solidité qui vont bien avec l'épithète de paysan qu'on lui a appliquée1. Dans le même temps, le regard exprime la finesse et la vivacité de l'intelligence. Rien ne lui échappe, rien ne l'impressionne ; et pourtant nulle arrogance sur ce visage, mais quelque chose de chaleureux, de fraternel. Tozan, tel que l'a saisi le pinceau de Reikai Vendetti, vient d'atteindre le point culminant de sa vie, de contempler la source inépuisable qui rayonne à l'infini. Peu de temps auparavant, il s'est séparé de son maître, Ungan Donjo, sur un échange qui l'a rempli de perplexité : « Quand vous serez mort », a-t-il dit à Ungan, « si quelqu'un me demande : "quel était le véritable visage de ton maître ?" que lui répondrai — je ? » Après un long silence, la réponse est tombée, énigmatique s'il en fut : « Simplement cela. » Alors qu'il méditait sur « simplement cela », Tozan a rencontré sa propre image, reflétée par l'eau de la rivière, et la compréhension a jailli, « spontanément claire, comme la lumière du jour dans une caverne2 ». L'expérience valait bien un poème, et Tozan composa celui-ci, qui servit ensuite de point de départ à l'Hokyo zanmai :
C'est à Tozan et à son disciple Sozan qu'on attribue la paternité du zen soto*, mot formé du to de Tozan et du so emprunté au mont Sozan, ainsi baptisé par le maître du même nom en souvenir du mont Sokei, où avait vécu Eno, le sixième patriarche. Le Hekiganroku*, un texte de l'école rinzai*, parle de l'assiduité de Tozan en zazen* et de son attention soutenue. « Cette attention soutenue, est-il écrit, est la caractéristique de son zen et de son école et c'est elle qui a fait de lui un grand maître ». Mais la marque de Tozan, que tous les textes s'accordent à louer, est l'indépendance d'esprit - qualité qu'il manifeste dès le début de sa quête et qui ne le quittera jamais.
Entendant le maître vinaya* auprès duquel il commence sa recherche chanter le célèbre passage du Hannya shingyo (Sutra du Cœur) où il est dit : « Il n'y a ni œil, ni oreille, ni nez, ni langue, ni corps, ni esprit », il lui fait observer, en se touchant le visage, qu'en ce qui le concerne il est pourvu de tous ces attributs. Décontenancé, le maître avoue « je ne suis pas le maître qu'il te faut ». Sur quoi Tozan décide d'aller voir du côté du chan*, et ses rencontres successives avec Nansen, Isan et Ungan révèlent la même volonté de ne pas s'en laisser compter et de ne rien admettre pour vrai qu'il n'ait personnellement et intimement vérifié.
Tozan arriva chez Nansen au moment où celui-ci s'apprêtait à célébrer un rite funéraire en l'honneur de son défunt maître Baso. Devant l'assemblée des moines, Nansen s'enquit alors : « Demain nous ferons des offrandes à Baso. Je me demande s'il viendra. » Seul Tozan trouva quelque chose à répondre : « Il viendra s'il trouve un compagnon à sa hauteur. » Impressionné, Nansen s'exclama : « Ce jeune homme offre un excellent matériau à sculpter et à polir. » À quoi Tozan répliqua : « Que le grand maître ne confonde pas un homme libre avec un esclave » et il s'en alla.
Il rencontra ensuite Isan, qu'il interrogea sur le sermon prononcé par les êtres inanimés. Isan lui répondit : « Je ne pourrais jamais vous en parler avec la bouche que m'ont donnée mes parents », et il l'aiguilla vers Ungan Donjo. Tozan reprit la route et, arrivé chez Ungan, lui demanda : « Qui peut entendre les êtres inanimés exposer la loi ? » « Seuls les êtres inanimés peuvent entendre », répondit Ungan. « Et pourquoi pas moi ? » insista le jeune moine. Ungan brandit son hossu* et dit : « Entendez-vous ? » « Non. » « Si vous n'entendez même pas mon sermon, comment pouvez — vous espérer entendre celui des êtres inanimés ? » observa Ungan, avant d'ajouter, citant un sutra* : « Les ruisseaux, les oiseaux et les arbres chantent tous le Bouddha et le dharma*. » Grandement satisfait de cette réponse, Tozan composa un poème :
Tozan sut garder une certaine distance même avec la mort. Sentant l'heure venue, il se rasa le crâne, prit un bain, convoqua ses disciples, leur fit ses adieux, s'assit en zazen* et cessa de respirer. Les moines se mirent alors à
gémir et à pleurer. Tozan rouvrit les yeux et les réprimanda : « Nous qui avons quitté nos maisons devons être détachés de toutes les choses éphémères. C'est en cela que consiste la vie spirituelle. » Il commanda un grand festin pour toute la communauté, passa une semaine avec elle, puis mourut pour de bon en zazen*, en priant les moines de ne pas le déranger cette fois-là : « En règle générale, quelqu'un qui est sur le point de partir n'a que faire de bruit et d'agitation3. »
On notera que, de ses deux disciples, c'est
Ungo Doyo qui perpétua la lignée soto*, alors que Sozan, qui a pourtant grandement développé l'enseignement théorique sur les go i (cinq degrés de l'illumination) formulé par son maître, n'a pas eu de descendance.
1. On peut lire dans Two Zen Classics, Mumonkan & Hekiganroku (Weatherhill, New York, Tokyo, 1977), p. 62, que le style exubérant d'UNMON lui a valu le surnom d'« empereur », tandis que Rinzai était qualifié de « général » et Tozan et Sozan de « paysans », en raison de la régularité et de la simplicité de leur pratique.
2. Citation du troisième verset du Shinjinmei (Poème de la foi en l'esprit), écrit au VIe siècle par Maître SOSAN.
3. John Wu, L'âge d'or du zen, Éditions Marchai, Paris, 1980, p. 170.
L'homme : Maître soto*, successeur de Ungan Donjo, maître de Sozan et Ungo Doyo. Cofondateur de l'école soto* avec Sozan. Auteur de l'Hokyo zanmai (Samadhi* du miroir précieux) et de la théorie des go i (cinq degrés de l'illumination), développée par Sozan après sa mort.
Son histoire : Commença par étudier le vinaya*, puis rencontra Nansen et Isan avant de devenir disciple de Ungan Donjo, dont il reçut la transmission. S'établit sur le mont Tozan, où il prêcha le dharma* jusqu'à sa mort.
Son enseignement : Ne s'en remettre à personne ni à aucune formule. Regarder en soi-même et ne jamais relâcher son attention.
Épisodes marquants : Ses mondo* avec le maître vinaya*, avec Nansen et Isan, puis avec Ungan Donjo. Sa séparation d'avec Ungan puis son éveil en contemplant son reflet dans l'eau de la rivière qu'il traverse.
Au milieu de l'onde mouvante, Tozan plante ferme-ment son bâton de pèlerin. La posture est stable, bien campée et pleine d'énergie. Il y a dans ce frêle personnage à la robe retroussée jusqu'aux genoux, une densité, une solidité qui vont bien avec l'épithète de paysan qu'on lui a appliquée1. Dans le même temps, le regard exprime la finesse et la vivacité de l'intelligence. Rien ne lui échappe, rien ne l'impressionne ; et pourtant nulle arrogance sur ce visage, mais quelque chose de chaleureux, de fraternel. Tozan, tel que l'a saisi le pinceau de Reikai Vendetti, vient d'atteindre le point culminant de sa vie, de contempler la source inépuisable qui rayonne à l'infini. Peu de temps auparavant, il s'est séparé de son maître, Ungan Donjo, sur un échange qui l'a rempli de perplexité : « Quand vous serez mort », a-t-il dit à Ungan, « si quelqu'un me demande : "quel était le véritable visage de ton maître ?" que lui répondrai — je ? » Après un long silence, la réponse est tombée, énigmatique s'il en fut : « Simplement cela. » Alors qu'il méditait sur « simplement cela », Tozan a rencontré sa propre image, reflétée par l'eau de la rivière, et la compréhension a jailli, « spontanément claire, comme la lumière du jour dans une caverne2 ». L'expérience valait bien un poème, et Tozan composa celui-ci, qui servit ensuite de point de départ à l'Hokyo zanmai :
L'ayant cherché longtemps ailleurs Il me fuyait.
Maintenant je vais seul Et je le rencontre partout. Il est moi
Et je ne suis pas lui. Cette compréhension Est la clé de l'éternelle réalité.
Maintenant je vais seul Et je le rencontre partout. Il est moi
Et je ne suis pas lui. Cette compréhension Est la clé de l'éternelle réalité.
C'est à Tozan et à son disciple Sozan qu'on attribue la paternité du zen soto*, mot formé du to de Tozan et du so emprunté au mont Sozan, ainsi baptisé par le maître du même nom en souvenir du mont Sokei, où avait vécu Eno, le sixième patriarche. Le Hekiganroku*, un texte de l'école rinzai*, parle de l'assiduité de Tozan en zazen* et de son attention soutenue. « Cette attention soutenue, est-il écrit, est la caractéristique de son zen et de son école et c'est elle qui a fait de lui un grand maître ». Mais la marque de Tozan, que tous les textes s'accordent à louer, est l'indépendance d'esprit - qualité qu'il manifeste dès le début de sa quête et qui ne le quittera jamais.
Entendant le maître vinaya* auprès duquel il commence sa recherche chanter le célèbre passage du Hannya shingyo (Sutra du Cœur) où il est dit : « Il n'y a ni œil, ni oreille, ni nez, ni langue, ni corps, ni esprit », il lui fait observer, en se touchant le visage, qu'en ce qui le concerne il est pourvu de tous ces attributs. Décontenancé, le maître avoue « je ne suis pas le maître qu'il te faut ». Sur quoi Tozan décide d'aller voir du côté du chan*, et ses rencontres successives avec Nansen, Isan et Ungan révèlent la même volonté de ne pas s'en laisser compter et de ne rien admettre pour vrai qu'il n'ait personnellement et intimement vérifié.
Tozan arriva chez Nansen au moment où celui-ci s'apprêtait à célébrer un rite funéraire en l'honneur de son défunt maître Baso. Devant l'assemblée des moines, Nansen s'enquit alors : « Demain nous ferons des offrandes à Baso. Je me demande s'il viendra. » Seul Tozan trouva quelque chose à répondre : « Il viendra s'il trouve un compagnon à sa hauteur. » Impressionné, Nansen s'exclama : « Ce jeune homme offre un excellent matériau à sculpter et à polir. » À quoi Tozan répliqua : « Que le grand maître ne confonde pas un homme libre avec un esclave » et il s'en alla.
Il rencontra ensuite Isan, qu'il interrogea sur le sermon prononcé par les êtres inanimés. Isan lui répondit : « Je ne pourrais jamais vous en parler avec la bouche que m'ont donnée mes parents », et il l'aiguilla vers Ungan Donjo. Tozan reprit la route et, arrivé chez Ungan, lui demanda : « Qui peut entendre les êtres inanimés exposer la loi ? » « Seuls les êtres inanimés peuvent entendre », répondit Ungan. « Et pourquoi pas moi ? » insista le jeune moine. Ungan brandit son hossu* et dit : « Entendez-vous ? » « Non. » « Si vous n'entendez même pas mon sermon, comment pouvez — vous espérer entendre celui des êtres inanimés ? » observa Ungan, avant d'ajouter, citant un sutra* : « Les ruisseaux, les oiseaux et les arbres chantent tous le Bouddha et le dharma*. » Grandement satisfait de cette réponse, Tozan composa un poème :
Merveille ! Ô merveille !
Le sermon des êtres inanimés
Est la vérité éternelle.
On ne peut l'entendre avec les oreilles
C'est avec l'œil qu'il faut l'écouter.
Le sermon des êtres inanimés
Est la vérité éternelle.
On ne peut l'entendre avec les oreilles
C'est avec l'œil qu'il faut l'écouter.
Tozan sut garder une certaine distance même avec la mort. Sentant l'heure venue, il se rasa le crâne, prit un bain, convoqua ses disciples, leur fit ses adieux, s'assit en zazen* et cessa de respirer. Les moines se mirent alors à
gémir et à pleurer. Tozan rouvrit les yeux et les réprimanda : « Nous qui avons quitté nos maisons devons être détachés de toutes les choses éphémères. C'est en cela que consiste la vie spirituelle. » Il commanda un grand festin pour toute la communauté, passa une semaine avec elle, puis mourut pour de bon en zazen*, en priant les moines de ne pas le déranger cette fois-là : « En règle générale, quelqu'un qui est sur le point de partir n'a que faire de bruit et d'agitation3. »
On notera que, de ses deux disciples, c'est
Ungo Doyo qui perpétua la lignée soto*, alors que Sozan, qui a pourtant grandement développé l'enseignement théorique sur les go i (cinq degrés de l'illumination) formulé par son maître, n'a pas eu de descendance.
La neige s'amoncelle sur le plateau d'argent.
La lumière de la lune enveloppe le héron blanc.
Il y a proximité mais pas identité.
Il y a intimité mais chacun reste soi-même.
Hokyo zanmai
La lumière de la lune enveloppe le héron blanc.
Il y a proximité mais pas identité.
Il y a intimité mais chacun reste soi-même.
Hokyo zanmai
1. On peut lire dans Two Zen Classics, Mumonkan & Hekiganroku (Weatherhill, New York, Tokyo, 1977), p. 62, que le style exubérant d'UNMON lui a valu le surnom d'« empereur », tandis que Rinzai était qualifié de « général » et Tozan et Sozan de « paysans », en raison de la régularité et de la simplicité de leur pratique.
2. Citation du troisième verset du Shinjinmei (Poème de la foi en l'esprit), écrit au VIe siècle par Maître SOSAN.
3. John Wu, L'âge d'or du zen, Éditions Marchai, Paris, 1980, p. 170.
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